HealthManagement, Volume 6 - Numéro 1, 2013

Auteurs

Dr Florence orlandini

Département d’Imagerie médicale, Centre Léon Bérard

Lyon, France

 

Pierre Saltel

Département

de psycho-oncologie, Centre Léon Bérard

Lyon, France

 

Marie-Christine Daléry

Département

de psycho-oncologie, Centre Léon Bérard

Lyon, France

[email protected]

 

La radiologie cancérologique est une discipline spécifique du fait de la gravité des enjeux et de l’hétérogénéité des situations, que l’examen radiologique soit réalisé au moment du dépistage, du bilan d’extension ou de l’évaluation des traitements. Quelle que soit l’expérience du soignant, le moment particulier de la délivrance de mauvaises nouvelles reste particulièrement délicat : comment annoncer sans traumatiser ? Chacun d’entre nous garde à l’esprit les risques liés à cette mission difficile : crainte d’aggraver la situation, crainte de ne pas savoir réagir si le patient exprime son désarroi. Le radiologue, premier à connaître les résultats, est moins familié du malade et de son entourage que le clinicien et ne dispose pas des cartes thérapeutiques.

 

À l’issue d’une réflexion autour de leur rencontre avec les patients qui manifestaient leur désir de connaitre les resultants de leur examen, l’équipe des radiologues du Centre de Lutte contre le cancer Léon Bérard a souhaité entreprendre avec l’équipe de psycho-oncologie une étude de pratique. Nous nous étions fixés trois objectifs :

 

• mieux appréhender la complexité de la situation ;

• se donner des outils de communication pour s’adapter ;

• fournir au patient une information utile et supportable.

 

Les Recommandations

Les recommandations autour de l’annonce de la mauvaise nouvelle ont été bien décrites par de nombreux auteurs en cancérologie générale. Trois messages principaux s’en détachent [1].

1. Il est conseillé de procéder par étape pour permettre au médecin de s’adapter à ce que le patient peut entendre, sans diminuer la qualité de l’information délivrée. Au début, on peut s’aider de différentes approches méthodologiques qui permettent de rythmer la séquence de l’annonce. Nous citons ici celle de Buckman (figure 1) ;

2. Les réactions les plus fréquentes sont le déni, l’évitement, la colère. Elles évoluent au cours de la maladie. Identifier les émotions principales lors de la consultation et favoriser leur expression diminue le risque d’isolement et de traumatisme ;

3. Adopter une attitude empathique permet d’accompagner le patient tout en limitant le risque de ressentiment à l’égard du soignant. C’est sur ce modèle, rappelé lors d’une formation initiale, que les radiologues ont axé leur travail en réfléchissant à sa pertinence en imagerie.

 

Le Matériel Et Les Méthodes

Neuf radiologues seniors et un interne de radiologie ont participle à l’étude qui a concerné 29 patients (13 femmes, 16 hommes) dont l’âge moyen était de 53 ans (29-84 ans). Dix consultations ont eu lieu en présence de l’entourage, trois en présence de l’interne.

 

Notre travail s’est axé sur une situation normalisée et particulièrement éprouvante : l’annonce de la rechute ou de la progression sous traitement en imagerie en coupes (scanner, IRM). Par un questionnaire semi-dirigé et des commentaires libres, chaque radiologue notait le déroulement de la consultation de rendu de résultat, en insistant sur les éléments centraux de l’entretien : l’application possible ou non des standards de Buckman, les émotions perçues par le soignant, les éventuels problèmes rencontrés, le temps consacré. Par la suite, les patients bénéficiaient d’un entretien semi-structuré mené par l’équipe de psycho-oncologie pour mesurer l’impact en termes de ressenti pour les personnes malades.

 

Les Résultats
L’Evaluation Par Le Patient Interrogé Par Le Psychologue :

Lors de l’entretien, le psychologue commençait par identifier quelles étaient les attentes préalables du patient. Elles sont résumées dans la figure 2. Il tentait ensuite de définir avec le malade quelles avaient été les émotions prédominantes lors de la consultation en les qualifiant sur la base de huit items principaux, puis de quantifier leur intensité (figure 3) : 100 % des patients se sont sentis informés, une relativement faible proportion (25 %) a été réellement choquée par l’annonce des résultats. Interrogés sur leur compréhension des informations reçues, 88 % des patients estimaient avoir reçu une information Claire sur la gravité de leur maladie, mais seulement 47 % sur les consequences sur leur traitement. 53% des patients exprimaient que l’appropriation de cette information s’était déroulée lors de l’échange avec le radiologue, 65 % lors de la rediscussion avec les proches, 88 % soulignaient l’importance d’avoir reçu les resultants avant la consultation auprès de l’oncologue.

 

Les représentations à l’égard du radiologue rencontré sont résumées dans la figure 4. Le patient devait ensuite choisir trios items de satisfaction parmi les cinq proposés. D’abord venaient la qualité et la fiabilité des examens (88 %), la clarté des explica tions (94 %) et la compétence technique du radiologue (65 %) ensuite la relation réconfortante (35 %) ou la disponibilité du médecin (18 %). Au total, 79 % se disaient satisfaits, 94 % exprimaient leur souhait de rencontrer le radiologue afin qu’il leur rapporte les résultats. 12 % se souvenaient avoir été interrogés sur leurs émotions.

Figure 1 : Les 6 étapes de l’annonce selon Buckman sont résumées par l’acronyme SPIKES


Figure 2 : Les attentes préalables des patients

L’Evaluation Par Le Radiologue :

Les radiologues s’étaient appuyés sur les standards de Buckmann dans 96 % des cas. Les questions posées par le patient concernaient l’imagerie dans 75 % des cas, le traitement dans 60 % des cas, le pronostic dans 18 % des cas. Ils quantifiaient de 1 à 5 les émotions perçues parmi l’étonnement, la déception et la colère et, en commentaires libres, soulignaient la difficulté d’aborder les patients mutiques, incrédules et ceux qui exprimaient leur souffrance devant l’incertitude de leur avenir : « je suis foutu, n’est-ce pas ? ». Le temps consacré ne dépassait pas dix minutes.

Figure 3 : Les émotions perçues par le patient et leur quantification en intensité et dans le temps

 

Discussion

Avant la consultation, les patients sont principalement dans l’espérance d’une information les délivrant du poids de leurs inquiétudes. Aussi le radiologue redoute la rencontre avec le patient dans l’ignorance qu’il est des thérapeutiques qui seront mises en route à l’issue de l’acte technique. C’est un obstacle qu’il faut relativiser : si on leur explique la multiplicité et la complexité des prises en charges à l’heure des thérapeutiques ciblées, les malades comprennent que c’est davantage lors de leur consultation auprès de l’oncologue qu’ils seront renseignés sur la suite de leur prise en charge. En revanche, en grande majorité, les patients souhaitent être informés des résultats pour leur permettre de préparer leur entrevue avec le clinicien : « Plus le temps passe, plus les questions viennent » nous faisait part l’une d’entre eux.

 

Ce temps permet effectivement d’intégrer progressivement la mauvaise nouvelle : souvent assailli par les émotions au moment de la délivrance des résultats, le patient ne peut saisir qu’une partie des données. Dans les situations critiques – elles sont souvent la résultante d’une contradiction entre un état général préservé et une évolution péjorative de la maladie – il est vrai que seul le clinicien, muni de la carte thérapeutique, pourra redonner une dimension d’espoir. Il est souhaitable alors de réduire le délai entre l’examen et le rendez-vous avec l’oncologue, qui, dans l’idéal, aura été mis au courant de l’information délivrée. La nécessité d’un soutien psychologique immédiat est exceptionnelle.

 

Concernant la perception de la consultation, le choc de l’annonce des résultats est à nuancer. Ayant perçu une dégradation de son état général, le patient confie souvent à son médecin « je m’y attendais ». Contrairement à ce que redoute le radiologue, rares sont les patients découragés. Notre rôle est de savoir preserver cet espoir nécessaire à l’adaptation psychologique et à l’acceptation des traitements, fussent-ils palliatifs. Enfin, on méconnaît sans doute des émotions plus négatives et qui sont rarement exprimées telles que la colère et l’insatisfaction ressenties chez 37 % des patients de la série.

 
Figure 4 : Les représentations du patient à l’égard du radiologue rencontré

Dans notre travail, très peu de patients se souviennent avoir été interrogés par le radiologue sur leurs émotions et cela ne recouvrait pas leur préoccupation principale. Les contraintes des plateaux techniques n’y sont pas étrangères : dans leur commentaire libre, les radiologues ont rappelé le peu de temps dont ils disposaient pour s’entretenir avec le malade mais tous ont souligné que la formation aux techniques de communication issues de l’expérience des oncologues pour faciliter l’expression des émotions était utile, en particulier devant un patient mutique ou sidéré, qui reste une situation particulièrement éprouvante. Pour nécessaire qu’elle soit, l’empathie n’est pas forcément innée ! Dans tous les cas, il faudra savoir nuance son propos en fonction du degré de compréhension du patient et en respectant les attitudes de déni ou d’évitement, mécanismes de protection que l’on aura pu détecter lors de l’interrogatoire [2].

 

En Conclusion

Adopter une attitude empathique et humaniser l’acte technique radiologique désamorce une partie de l’impact de la mauvaise nouvelle, à court et à long terme, dans le context de cancer ou non. Les enjeux relationnels sont réels. Si l’étude rapportée ici a de nombreuses limites, s’il n’existe pas de recette miracle, la discussion par l’équipe médicale autour de cet aspect difficile du métier d’imageur entretient sa mobilisation et permet de se sentir moins démuni.


Tableau 5 : Comment faciliter l’expression des émotions



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