HealthManagement, Volume 4 - Numéro 2, 2011

Auteur

Philippe Schiesser

Professeur Associé à l’Université de Cergy-Pontoise

Président de l’APEDEC,

Association des professionnels de l’écodesign et de

l’éco-conception, Directeur d’Ecoef, Montreuil, France

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« L’hôpital a, par sa vocation, ses missions et ses activités, une plus grande responsabilité et un devoir d’exemplarité dans la mise en place d’une stratégie de développement durable » (1). Trois documents récents viennent mettre en lumière le secteur de la santé, sa responsabilité en terme de développement durable, et les moyens d’y parvenir. Élaboré avec l’ensemble des parties prenantes, le deuxième Plan National Santé Environnement 2009-2013 décline les objectifs du Grenelle de l’environnement pour le secteur médical. Ce plan prévoit notamment de favoriser la recherche technologique et l’innovation pour l’accompagnement des entreprises vers des pratiques plus respectueuses de la santé et de l’environnement (action 56).

 

Par ailleurs, le manuel de certification V2010 de la Haute Autorité de Santé (HAS) comporte un critère spécifique (1 b) relatif à « l’engagement dans le développement durable », décliné dans le domaine des achats éco-responsables et approvisionnements, dont l’objectif est de favoriser l’utilisation des produits ayant un impact moindre sur l’environnement et d’intégrer des clauses sociales et environnementales dans les cahiers des charges. Le récent Guide des achats durables de produits de santé, publié en juillet 2011 par le Groupe d’études des marchés de santé (GEMPS) apporte des préconisations (sans valeur juridique) dans le domaine de ces critères pour l’achat public de produits de santé.

 

Éco-Conception Et Analyse Du Cycle De Vie

La promotion de la qualité écologique des produits a depuis longtemps fait l’objet de nombreuses mesures des autorités publiques, aiguillonnés par les professionnels du secteur qui, depuis 40 ans, ont construit des méthodologies de quantification des impacts et de mesure de la performance réelle des produits.

 

À la différence des produits de consommation courante, les produits de santé n’ont pas bénéficié de demarches d’écolabelisation (avec la publication concomitante de référentiels de certification). La porte était donc ouverte à des démarches soit militantes et/ou transverses sur des thématiques ciblées (PVC, bisphénol A…), soit à la déclinaison de thématiques génériques à d’autres secteurs (Bilan carbone, compensation carbone…), soit au rappel de certaines réglementation – DASRI (Déchets d'Activités de Soins à Risques Infectieux), REACH (système integer d’enregistrement, d’évaluation, d’autorisation et de restrictions des substances chimiques) ou RoHS (restriction de l'utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques).

 

Force est de reconnaître que les rédacteurs du guide des achats durables des produits de santé ont classé tous ces éléments dans le champ des questions à écarter, les jugeant inappropriés à permettre de distinguer les offres les plus durables. Si on peut reconnaître une validité dans ce jugement pour la plupart des thématiques réglementaires, on peut malgré tout s’interroger sur l'adjonction de l’Analyse de Cycle de Vie (ACV), seule méthode reconnue internationalement par des normes (ISO 14040 et 44), et dont la publication de résultats est soumise à revue critique par des pairs, voire par parties intéressées.

 

Ces deux éléments, ACV et éco-conception, ne sont pas si dissociés, et peuvent, bien plus encore, représenter des outils intéressants pour l’acheteur public afin de piloter, au-delà des appels d’offres, sa performance durable. La caractéristique essentielle d’une ACV étant de mesurer tous les coûts environnementaux à toutes les étapes, il est de plus en plus légitime et intelligent de mesurer également avec cet outil les coûts économiques et les gains sociaux et/ou fonctionnels.

 

l’Analyse Du Cycle De Vie Du Conditionnement d’Un Produit De Contraste

Une entreprise du secteur médical a testé en France cette approche en adoptant une démarche d’éco-conception sur le conditionnement de produits de contraste. Ces substances, une fois injectées, permettent d'améliorer la visualisation de certains organes et la détection et/ou la characterisation de certaines pathologies. Le nouveau conditionnement, une poche en polypropylène, offre le double avantage d’être incassable et 5 fois plus léger que le verre (standard du marché). Afin de mettre en évidence ses benefices environnementaux par rapport au flacon de verre, une Analyse de Cycle de Vie a été réalisée. L’utilisation de cette méthode est nouvelle dans le secteur pharmaceutique (Figure 1).

 

Son objectif a été de comparer les impacts environnementaux des deux types de conditionnements tout au long de leur cycle de vie, depuis les matières premières, la fabrication, les différentes étapes de transport, jusqu’à la fin de vie des conditionnements. Les étapes d’élaboration du principe actif et de remplissage ont quant à ells été exclues du périmètre car communes aux deux types de conditionnements. En fin de vie, les conditionnements sont considérés comme des DASRI (Déchets d'Activités de Soins à Risques Infectieux) et sont donc totalement incinérés conformément à la réglementation.

 

Les impacts environnementaux ont été évalués selon onze indicateurs d’impacts :

• Appauvrissement des ressources naturelles (en kg équivalent d’antimoine Sb)

• Acidification (en kg équivalent de dioxyde de soufre SO2)

• Eutrophisation (en kg équivalent de phosphate, PO43)

• Réchauffement climatique (en kg équivalent de dioxyde de carbone CO2)

• Appauvrissement de la couche d’ozone (en kg équivalent de CFC11)

• Oxydation photochimique (en kg équivalent d’éthylène C2H4)

• Ecotoxicité en eau douce (en kg équivalent de dichlorobenzène 1,4-DCB)

• Ecotoxicité marine (en kg équivalent de dichlorobenzène 1,4-DCB)

• Toxicité humaine (en kg équivalent de dichlorobenzène 1,4-DCB)

• Ecotoxicité terrestre (en kg équivalent de dichlorobenzène 1,4-DCB)

• Consommation d’énergie non renouvelable (en MJ équivalent)

 
Figure 1: Étapes principales de l’Analyse de Cycle de Vie et de la vérification de l’étude

Les résultats de l’analyse de cycle de vie comparative ont montré que les poches en polypropylène, comparées aux flacons de verre, ont des impacts environnementaux réduits. En effet, pour dix des onze indicateurs d’impacts considérés, les impacts sont réduits de 38 à 75 % selon les indicateurs. Un seul des onze indicateurs, l’écotoxicité en eau douce, augmente de 63 %.

 

L’étude réalisée a été soumise à revue critique afin de confirmer sa conformité aux normes ISO 14040 et 14044. Au-delà de cette revue critique, une démarche de verification a été menée. Elle a consisté à repartir de la fiche de collecte de données réalisée par effet de levier afin de realise une nouvelle modélisation des deux périmètres (flacon de verre et poches en polypropylène). Cette modélisation a debouche sur une nouvelle analyse des impacts dont la coherence avec les impacts de l’étude initiale a été testée (fig. 2).

 
Figure 2 : Analyse du cycle de vie du conditionnement A) en poche de polypropylène B) en flacon de verre

Afin de tester la robustesse du modèle, une analyse de sensibilité a été réalisée (méthode de Monte-Carlo) et a permis de conclure que ce paramètre n’avait qu’une faible influence sur l’ensemble du cycle de vie. Cette démarche a ainsi permis de valider conjointement la cohérence de l’étude (par la revue critique) et sa realisation (par la vérification).

 

L’analyse de cycle de vie réalisée a constitué un appui lors de la soumission du produit de contraste dans son conditionnement auprès de la Haute Autorité de Santé (HAS). L’avis de la commission de la transparence de la HAS a mentionné les qualités environnementales de la poche en polypropylène dans son avis sur le produit de contraste en affirmant que celle-ci « répond au concept d’écoconception de l’entreprise ». Sa facilité et sa sûreté d’utilisation ont été mises en avant.

 

En Conclusion

L’usage par l’acheteur public de telles conclusions doit bien évidemment également intégrer les questions de praticité, de coût et de risques, et tout ceci à iso-performance santé. D’autres indicateurs économiques sont à remonter pour disposer d’une photographie complète du produit et des coûts liés (consommables associés, transport, stockage, sécurité des équipes soignantes, blessures, gestion des déchets, etc.). Cela permet d’ouvrir la voie aux critères « développement durable » des produits de santé (environnement, social, économie), qui pourront être demandés par les autorités de santé et analysés par les experts des (autres) métiers concernés.

 

Ces critères socio-économiques seront d’ailleurs de plus en plus intégrés à l’approche traditionnelle de l’analyse de cycle de vie pour constituer l’analyse de la durabilité sur le cycle de vie ou LCSA (Life Cycle Sustainable Analysis), largement évoquée au récent congrès mondial de Berlin sur le Management du Cycle de Vie). De belles opportunités pour un système de soins plus efficient…

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